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« Beaucoup de projets de commerces aujourd'hui dans les cartons ne verront pas le jour. »


Propos recueillis par Business Immo au cours d'une interview de Boris van Haare Heijmeijer, Head of Emea Retail chez Cushman & Wakefield, publiée le 5 juin 2020.

Le développement de nouveaux espaces de centres commerciaux en Europe était en déclin depuis le record de 9 millions de m² atteint en 2008. Selon Boris van Haare Heijmeijer, Head of EMEA Retail chez Cushman & Wakefield, la pandémie de Covid-19 pourrait pérenniser cette tendance et influencer le modèle des actifs commerciaux développés dans le futur.

Business Immo : Comment l’épidémie de coronavirus influence-t-elle les pipelines de développement des acteurs de l’immobilier de commerce ?

Boris van Haare Heijmeijer : Tous les développeurs, promoteurs et autres acteurs de la construction de commerces ou de centres commerciaux peuvent s'estimer heureux s'ils n'avaient pas encore commencé leurs projets au début de la crise. Ces investissements lourds, inscrits sur un temps long, sont aujourd'hui inquiétants. Entre le moment où l'on achète un terrain et l'ouverture d'un centre commercial, une décennie s'est souvent écoulée. Or, le marché peut changer fondamentalement en dix ans. Les seuls projets qui seront vraisemblablement réalisés sont donc ceux qui étaient déjà avancés avant la crise.

BI : Quels pourraient être les principaux freins au développement d’actifs de commerce ?

BVHH : Si les marges de profit baissent et le marché de l'investissement est très faible, les promoteurs devront accepter de porter leur projet potentiellement pendant plusieurs années, et espérer que le marché s'améliore. Je ne crois pas qu’ils soient aujourd'hui prêts à se lancer ainsi tête baissée. Il est aussi possible que les promoteurs et les investisseurs rencontrent des problèmes de financement. Les banques étaient déjà devenues plus réticentes à financer les projets de commerce depuis la crise de 2008, en débloquant généralement les fonds que lorsque 50 ou 60 % des espaces étaient précommercialisés. Selon les échos que je reçois de plusieurs promoteurs, leur aversion pour le financement de ce type d’opérations est encore plus importante aujourd’hui. Mais il est aussi permis de se poser la question : est-ce encore nécessaire de construire des mètres carrés de commerce au vu de l'offre importante développée depuis le début des années 80 ainsi que des changements de consommation observés dans les dernières années ? Les pipelines de développement devraient donc être davantage constitués d'opérations de rénovation ou de transformation d'actifs existants, pour les mettre aux normes et leur permettre de répondre aux nouvelles attentes, que de constructions neuves.

BI : Vous parlez de baisse de marge… Quel effet pourrait avoir la période actuelle sur la rentabilité des pipelines de développement de commerces ?

BVHH : Un promoteur essaie en général de dégager une marge promotionnelle, qui était auparavant de 20 à 25 % mais qui est descendue depuis vers les 15 %. Aussi, on voit aujourd'hui qu'il suffit de peu de choses pour qu'un projet soit livré à perte. Bien sûr, tant que l'on connaissait une croissance de valeur occasionnée d'un côté par l'augmentation des loyers et de l'autre la contraction des rendements, tout allait bien. Aujourd'hui, parce que l'on observe plutôt une baisse des loyers et une augmentation des rendements, la croissance des valeurs constatée depuis 20 ans est en train de s'inverser, surtout pour les centres commerciaux. De ce fait, le marché de l'investissement sur ce secteur s'est effondré, ce qui n'est pas le cas ou, dans une moindre mesure, pour les actifs de pied d'immeuble ou de périphérie. Avant même la crise, les loyers avaient déjà accusé une certaine baisse en raison d'années difficiles et de chiffres d'affaires sous pression pour beaucoup de commerçants. Les grandes enseignes dévoreuses d'espace telles H&M ou New Yorker ne bougeaient plus beaucoup, et s'ils déménageaient, c'était dans des conditions agressives et souvent très défavorables au bailleur. Post-coronavirus, cette situation ne fera qu'empirer, et dans cette crise de consommation qui se profile, dans laquelle les loyers ne remonteront pas à court terme, le modèle économique portant la promotion des centres commerciaux risque de s'effondrer.

BI : Est-ce la crise actuelle pourrait influencer le modèle des actifs commerciaux développés dans le futur ?

BVHH : Il est évident que les modèles des projets en cours de construction actuellement devront être revus. Avant la crise, les centres commerciaux connaissaient un nouveau souffle parce que les 18-35 ans voulaient plus de loisirs, d'expériences et de plaisir. Tous les projets en cours de développement ou d'agrandissement ont ainsi été adaptés pour pouvoir offrir ces nouveaux services, qui ne rapportent rien au bailleur mais étaient adoptés pour pérenniser l'investissement. Est-ce que ces concepts seront toujours demandés ou est-ce que la crise transformera durablement ce modèle ? Dans une enquête que nous avons menée auprès des consommateurs, ce sont à ce jour les retail parks périphériques qui ressortent clairement gagnants, loin devant les centres commerciaux qui génèrent plus de réticence alors même que le propriétaire y gère l'entièreté de la chaîne de sécurité... Et cette préférence s’est clairement confirmée depuis la réouverture des magasins. Ainsi, les centres en plein air et les retail parks, tels que ceux développés par Frey ou la Compagnie de Phalsbourg, pourraient tirer leur épingle du jeu au vu des enjeux sanitaires. D’autant que ce type d’actifs était déjà très recherché par les enseignes en raison de loyers plus bas et de taux de conversions nettement supérieurs.