Actualité

Regards croisés : La situation du secteur Commerce / Retail


Trois questions à Vanessa Zouzowsky (VZ), Head of Capital Market Retail – Cushman & Wakefield France et Valérie Parmentier (VP), Directrice Valuation – Cushman & Wakefield France

Q : Quel regard portez-vous sur la situation actuelle du marché de l’investissement en commerces ?

VZ : Il faut distinguer ce qui relève du marché de l’investissement en lui-même, de la situation locative des bailleurs de surfaces commerciales. En investissement, les candidats à l’acquisition sont toujours présents sous réserve de s’accorder sur la potentielle diminution à venir des loyers (allégement et franchises) et donc sur le pricing. C’est la grande question du moment et la réponse sur un éventuel ajustement de ces valeurs doit s’analyser par classe d’actifs commerciaux et même au cas par cas car chaque situation est par définition unique. Si les fondamentaux de l’actif cédé sont bons, les acquéreurs seront au rendez-vous mais surement avec une correction sur le pricing (valeur locative) par rapport à celui envisagé avant la crise du Covid-19. Dans le cas contraire, les actifs déjà fragiles dans leur attractivité, leur flux et leur valorisation devraient sans doute être plus sanctionnés car les valeurs locatives seront durablement impactées, dans une sorte de « sélection naturelle » post crise sanitaire. La majorité des investisseurs que nous avons interrogés dans notre enquête a indiqué attendre une décompression des taux, mais comme le reflet d’une baisse des valeurs locatives à venir sur une grande partie des actifs commerciaux.

VP : Plus que jamais la valorisation des actifs commerciaux va passer, par l’analyse de ses fondamentaux (typologie de commerce, situation, qualité de l’actif, labels,..), mais surtout par une analyse de la solidité du flux locatif à l’heure où certains commerces non essentiels – hors bars et restaurants – font leur réouverture. La qualité des locataires et la solidité du cash-flow restent les garants d’un bon investissement. Analyser ce flux locatif pour un commerce c’est analyser les revenus de l’actif en corrélation avec les chiffres d’affaires des enseignes. L’impact de la fermeture des commerces non essentiels a été important sur les CA de mars et avril et pour certains les fragilise plus durablement suivant les activités. Nous attendons de bien comprendre comment les propriétaires vont pouvoir soutenir certains locataires, la stratégie qui sera mise en place pour favoriser le retour des clients et comment les clients vont « réinvestir » les commerces à partir de la mi-mai, pour pouvoir en mesurer vraiment l’impact. Certaines typologies de commerce seront plus impactées. C’est en effet un traitement au cas par cas. Il est un peu tôt pour savoir quelles valeurs locatives vont être impactées durablement et dans quelles proportions. Quoi qu’il en soit les projections d’indexation et les progressions de valeurs locatives de marché sont déjà revues à la baisse pour tenir compte de la situation actuelle.

Q : Revenons à la question de la relation bailleurs / enseignes. Comment appréciez-vous la situation ?

VZ : La tâche est immense et le feuilleton de l’annulation / report des loyers et charges a montré la très grande diversité dans les réponses apportées par les propriétaires d’actifs commerciaux. Tous ne sont pas des foncières de premier rang et ne disposent pas des mêmes réserves de trésorerie. A l’évidence, les bailleurs qui ont accompagné d’une façon ou d’une autre leurs locataires- enseignes, vont surement mieux s’en sortir s’ils souhaitent céder des actifs dans les prochains mois, car d’une certaine façon ils ont protégé leur portefeuille de locataires et assuré, autant que faire se peut, la pérennité de leur revenu locatif même s’il est amoindri. Il vaut mieux effectivement accorder des aménagements ponctuels et assurer la pérennité du revenu sous peine de risquer d’augmenter la vacance et de se voir sanctionner fortement en termes de pricing.

VP : Leur situation respective est étroitement liée et là encore il n’y a pas de tendance générale car chaque cas est spécifique. Bailleurs et enseignes ont débuté ou vont initier des discussions pour imaginer ensemble les conditions de vie de leurs actifs immobiliers voire de survie pour les plus fragiles. Le lien entre bailleurs et enseignes est fondamental car il est le seul à permettre une meilleure compréhension des ressorts de l’activité commerciale ; comment la favoriser et comment la réinventer sur de nouvelles bases le cas échéant.

Q : Pour finir une question de prospective sur les nouveaux modes de consommation et leur impact sur le marché des commerces ?

VZ : Il faut envisager ces nouveaux modes de consommation post Covid-19 en les intégrant à une réflexion plus large sur la situation personnelle et professionnelle des français, car le commerce touche au mode de vie des individus. Il y a encore beaucoup d’inconnues dans cette nouvelle équation. Le retour à la proximité est un thème intéressant à observer d’autant qu’aujourd’hui les gens sont encore très largement à la maison mais qu’en sera-t-il dans quelques semaines / mois ? Ne va-t-on pas revenir aux anciens modèles ? On évoque aussi de plus en plus la fin des grandes métropoles ; là encore attention aux jugements hâtifs ! La vie en province permise par le recours au travail depuis son domicile pourrait changer les modes de consommation mais surement à la marge ; pour l’instant il est difficile de se faire une opinion. Il est probable que ces bouleversements ne toucheront qu’une petite partie de la population et donc cela ne peut pas être la planche de salut de tous les centres des villes de taille moyenne. La séquence qui s’ouvre aujourd’hui est source de beaucoup de questions et d’incertitudes ; elle est aussi une formidable opportunité pour revisiter le champ entier du commerce ; un défi passionnant !

VP : Difficile de répondre à l’heure actuelle car l’intégralité des commerces n’a pas rouvert en date du 11 Mai et donc nos modes de consommation sont forcément encore contraints. A cela s’ajoutent les effets secondaires de la crise économique sur le pouvoir d’achat et la pérennité des enseignes. Ceci dit, quelques tendances semblent émerger ; elles ne sont certes pas nouvelles mais la crise sanitaire aura accéléré leur diffusion grâce notamment au développement de la technologie. On peut citer, la montée en puissance du e-commerce, l’absolue nécessité pour les enseignes de travailler leur distribution omnicanale et enfin l’intérêt des drive, des « click and collect » et du développement des circuits courts. Cette période est également marquée par le retour en grâce du commerce de proximité qui pourrait s’ancrer davantage dans les habitudes des consommateurs tant qu’un véritable retour à la vie professionnelle normale n’est pas possible.